La Chambre du notaire

Publié le par GOIDH

C’est arrivé par la poste, ce matin. Expédiée par Maître ***, notaire dans la capitale, me priant de venir au plus tôt, la lettre était expéditive, lapidaire même. Cela avait un rapport avec Gaspard. Il fallut donc que je prenne cela comme des nouvelles de mon écrivain, les premières depuis qu’il m’avait foutu à la porte de sa chambre, il y a tout juste une semaine.

Depuis le temps, je commençais à connaître le bonhomme. Et je l’imaginais mal faire appel aux services d’un notaire. Bien entendu, je m’y dirigeai quand même à ce rendez-vous, servi dans mon vieux costume, comme un chat dans la corde qui l’étrangle.

C’était une petite porte en vieux bois qui ne payait pas de mine. Sur le mur, une plaque dorée indiquait « Maître ***, notaire ». Ce fut une secrétaire identique à la mienne qui m’accueillit et me demanda d’attendre dans la salle d’attente. Enfin, c’était juste quelques chaises à côté de l’entrée. Sur une table, quelques journaux, l’un annonçant la morte de Mao, l’autre, l’arrivée de la couleur à la télévision et le troisième, l’absolution de la peine de mort en France. Les magazines, eux, parlaient de la Haute Volta et de l’URSS, pays aujourd’hui disparus. Les mots fléchés, évidemment, avaient passé la date de péremption depuis belle lurette. A la définition « nouveau président de la république », on ne trouvait que quatre cases remplies du mot « Coty ». « Champion du monde de Formule 1 » était suivi de « Fangio » et le « présentateur télé préféré des Français était « Zitrone ».

La secrétaire me dit que Maître *** va me recevoir. On me fait alors entrer dans une grande pièce, où les murs sont garnis de livres et où une table m’attendait, fièrement gardée par des chaises sérieuses.

 

 

 

- Excusez-moi de vous avoir fait patienter si longuement, me dit un petit homme au crâne presque chevelu, mais nous avons un dossier important à traiter qui nous prend tout notre temps.

- Ce n’est pas grave, mentis-je.

- Bien, je vous ai fait venir parce que le dénommé Gaspard a déposé chez nous un testament un peu particulier.

- Un testament ? Est-il donc mort ?

- Pas que je sache mais il l’a déposé il y a un an, jour pour jour nous demandant de le lire en votre présence à la date du samedi 6 octobre.

 

 

 

J’imaginais une enveloppe kraft déposée sur la banquette d’un café et sur laquelle il était inscrit : pas avant le samedi 6 octobre.

 

 

 

- Cette procédure est un peu inhabituelle mais elle est tout à fait légale. Le dossier, confié à nos soins par le dénommé Gaspard, ne contient que deux choses : un livre qu’il aimerait, je cite, « que vous lisiez avec beaucoup d’attention » et une lettre que je vais à présent vous lire.

 

 

 

Je pris le livre qu’il me tendait, c’était un livre au cuir brun qui, au moment où je le touchais,  me procura des frissons partout dans le corps.

 

 

 

- Euh…un instant.

- Oui ?

- Comment ça se passe ? je veux dire… Gaspard a déjà fait un testament et d’après ce qu’il m’en a dit, il ne me léguait rien.

- Comme je vous l’ai dit, il ne s’agit pas d’un vrai testament. Gaspard n’est pas mort. Il n’y a donc pas d’héritage ni de droits de succession, si c’est bien là, le sens de votre question.

 

 

 

Effectivement.

Si Gaspard voulait me transmettre le livre, pourquoi ne s’est-il pas contenté comme d’habitude de le déposer dans ma boite ? Pourquoi cette envie de formalisme, tout à coup ? Le notaire déplia la lettre et je compris.

Ils étaient tous là, telles des ombres, à avoir pris place à la même table que moi. Antonin, Béryllium, les frères Bellegrave qui ne tenaient pas en place, l’homme qui ne vieillissait pas qui se dissimulait dans l’ombre du coin de la pièce. Tous. Et une multitude d’autres inconnus. Tous étaient venus et remplissaient la pièce pour saluer le grand homme, à l’instant où nous refermerions le livre pour la dernière fois. Tous, dans un silence de cathédrale, attendaient de savoir si leur sort dépendrait de ce que Gaspard avait écrit en guise de conclusion.

 

 

 

«  J’aurais voulu commencer cette lettre par une de ces phrases dont les films ont le secret. Mais, évidemment, je n’ai pas l’once d’un talent. Ma vie n’aura été que la votre, lentement distillée au hasard des rencontres. Je me voulais voyageur, baroudeur, machine errante mais je n’ai même pas été un oiseau de passage. Un oiseau de passage se contente de passer, il ne chamboule pas la vie des compagnons avec qui il partage une ligne à haute tension. Moi si.

Je me suis pris pour le personnage principal de vos vies et je m’en excuse. Je n’aurais pas du m’y sentir chez moi mais plutôt les laisser se dérouler comme elles l’entendaient. A toute la bande de la Perruche verte, je demande pardon. J’aurais du vous laisser la liberté de choisir votre prison. A Rufus, pardon de n’avoir fait de vous qu’un chien policier lancé à mes trousses. Je vous ai réservé à tous, des vies figurantes et à l’ombre de la mienne, si indifférente, si monotone. Je voulais savoir ce que ça faisait d’être un héros, d’être le personnage principal pour une fois.

Je vous demande pardon également, parce que je ne regrette rien. Le voyage a été agréable. J’ai voulu jouer à l’apprenti sorcier, ressasser une histoire vieille de mille ans et bouleverser le tout comme l’on cuisine un ragoût dans une vieille marmite avec tout ce qui nous reste dans le frigo. Parfois, je n’ai pas su me tenir à ma place derrière les fourneaux et me suis plongé dans la sauce. Certains d’entre vous, d’ailleurs, ont eu du mal à le comprendre, ont prétendu que ça partait dans tous les sens, et qu’on avait du mal à suivre. D’autres n’ont pas essayé et se sont contentés de suivre le train de loin. Quelques uns, cependant, ont agi, malgré l’ambiguïté de leur rôle et ont su deviner où j’ai voulu en venir. L’ermite et Batave en tête. A vous aussi, je n’ai réservé qu’une petite place, ridicule récompense de votre intelligence. Vous aviez compris le fin mot de l’histoire, bien avant Gaspard.

Je me suis perdu bien des fois, c’est vrai. Quand je disais « je », c’était un « je » à plusieurs têtes. C’est étrange. Pendant toute la durée du voyage, j’ai cherché une réponse, une évidence, que je perçois seulement maintenant. Comme s’il m’avait fallu revenir pour le découvrir.

Oui, j’ai enfin découvert ce qui me tenait à cœur. J’ai fouillé, fouiné pour cela. J’ai fait des choses dont je ne suis pas fier. J’ai abandonné certains d’entre vous, j’ai délaissé des projets importants et j’ai menti la plupart du temps. Mais je ne regrette rien. J’ai avancé là où j’ai voulu et je suis revenu, rien à redire.

L’épais volume de cuir brun qui a pris tant de place dans mes lignes ne contient à présent plus qu’une seule histoire. Son épaisseur n’est plus que d’un centimètre. Lorsqu’on l’aura lu, qu’adviendra-t-il ? Disparaîtra-t-il ? Ou restera-t-il blanc en attendant qu’une plume, plus délicate que la mienne vienne y tremper son encre ? Il est clair en tout cas qu’on ne parlera plus de moi.

«  La Disparition de Gaspard », c’était un bon titre, Rufus. Merci d’avoir pris soin de mes lignes, comme de la prunelle de mes yeux. Merci à vous tous de m’avoir hébergé ».

 

 

 

 

FIN.

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