Chapitre DEUX : Ce qu'il aurait fallu lui dire

Publié le par Gaspard


Elle est habillée en printemps et en dimanche. Ses jolies jambes n’ont pas été fouettées par les herbes hautes du jardin. Elle est droite comme un piquet à côté de l’abat-jour à motif vinicole qu’elle vient d’illuminer. Existe-t-elle vraiment ou est-elle sortie du livre ? Je n’en sais rien. Bien que son enivrant parfum laisse suggérer qu’elle soit faite de chair et de sang.

 - Excusez-moi, dit-elle, excusez-moi.

Forcément, je ne sus quoi dire, alors je la laissai parler.

-         Je suis désolée de m’introduire comme cela dans votre maison, monsieur.

 

Ma maison, ma maison, mais ce n’est pas ma maison. Ce n’est pas la sienne non plus. Alors se fiche-t-elle de ma gueule ? Elle est chez elle et elle joue la carte de la dérision parce qu’elle est paniquée de me voir assis dans son fauteuil préféré ? Elle a une voix douce, calme et pourtant elle a l’air si nerveuse, si épuisée.

 

 

 

 

 -         Vous avez une bien jolie maison, monsieur. On doit y être bien ici.

 

 Ça continue, elle se fiche de ma gueule.

 

 

 

 

 -   Je me suis perdue dans la forêt. J’ai erré pendant des jours, des années peut-être, oh quel cauchemar ça a été !

 

 Perdue ? Comme moi ? 

 

 

 

 

-         Alors quand je suis arrivée dans cette clairière, quand j’ai vu votre maison, quand j’ai vu la lune si haute dans le ciel, je n’ai pas hésité, je me suis engouffrée chez vous. 

 

Chez moi, chez moi, elle est marrante celle-là. Marrante mais belle, belle, une apparition. Alors oui, c’est chez moi, on ne contredit pas la femme que l’on désire. 

 

-         La lumière n’était pas allumée, je me suis dit qu’il n’y avait personne ou que s’il y avait quelqu’un, ce quelqu’un était couché. Alors je me suis dit que je pourrais passer quelques temps ici avant de reprendre ma route.

-         Vous avez bien fait, me décidai-je enfin, vous êtes ici comme chez vous (et moi aussi). Vous pouvez rester autant que vous voulez. De toute façon, il ne faut pas que vous repartiez avant que le jour se lève, c’est trop dangereux.

-         Ah merci, monsieur. Votre maison est si belle, je suis heureuse.

-         Prenez un fauteuil, dis-je en me levant et en refermant le livre avec une facilité étonnante. Prendrez-vous un verre ?

-         Oui volontiers, répondit-elle en s’asseyant sur le sofa.

-         Et que prendrez-vous ?

-         Qu’avez-vous ?

-         Tout plein de choses.

-         Ah. Et que prenez-vous, vous ?

-         Je ne sais pas encore.

-         Alors, je prends la même chose que vous. 

 

Il ne me restait plus maintenant qu’à trouver le bar. Il fallait que je sois discret dans mon hésitation. Je ne pouvais décemment pas ouvrir les placards les uns après les autres. La pièce était grande, deux murs garnis d’étagères garnies de livres. Un large espace avait été consacré au coin lecture, sans doute pour pallier au manque de livres. Dans un autre coin, on trouvait une large armoire, pourvue d’innombrables placards et vitrines, contenant pour la plupart des babioles dorées. Mais un placard attira particulièrement mon attention. Il semblait être étranger au reste, libertin abandonné au milieu des tristes sires. Et mon instinct ne me trompa pas : le placard renfermait bien le bar. Une dizaine de bouteilles s’étalaient fièrement devant mes yeux. On y trouvait également toute une rangée de verres de toutes sortes ainsi qu’un petit compartiment réfrigéré pour conserver les glaçons. Que soient bénis les gens ordonnés !

La jeune inconnue s’allonge sur le sofa. Elle est belle, je l’ai déjà dit. Mais elle est jeune aussi. Dans sa robe légère, on dirait qu’elle sort d’une soirée et non d’un périple forestier ou sylvain, si vous préférez. Elle pousse un long soupir, sans doute harassée par tant d’efforts. Je me demande d’où elle vient, à qui elle est en train de manquer, à qui elle pense, à qui elle ment. A moi, peut-être. Elle ne m’a même pas demandé pourquoi j’étais je lisais dans le noir. Peut-être que c’est à ça qu’elle pense, peut-être qu’elle a déjà trouvé une réponse. Dans ce cas, il faudrait que je lui demande. 

 

-         Tenez, dis-je. Un scotch.

-         Oh, merci. Pourrais-je avoir un autre glaçon ?

-         Bien sûr.

-         Merci. 

 

J’aimerais engager la conversation mais je ne souhaite pas casser l’ambiance. Je ne veux pas courir le risque de la faire fuir. Je ne me souviens pas de la dernière fois où une inconnue s’est allongée sur mon sofa en pleine nuit. Je ne me rappelle même pas avoir déjà eu un sofa.

Comme il est difficile de faire en sorte que tout se déroule à la perfection. Il n’y a que dans les romans ou dans les vieux films américains que cela se passe ainsi. J’aimerais qu’un feu brûle dans la cheminée, qu’un vent violent s’écrase contre les vitres et qu’une robe de chambre recouvre mon costume trois pièces fait main dans une petite boutique de Saint Gabriel Hall.

J’aimerais bien avoir un sujet de conversation pour profiter du moment, pour qu’elle se souvienne toujours de cette rencontre, pour qu’elle aime passer des soirées avec moi, pour devenir indispensable. Mais avant même que j’ai pu commencer à parler, elle commence à parler, à parler, à parler et, rapidement, je n’arrive plus à la suivre, tellement elle parle, puis quand elle a fini de parler, elle vide son verre d’un trait et s’endort comme une fleur. 

 

Un instant, je suis resté bouche bé, dans le fauteuil, mon verre de scotch encore intact à la main, à la contempler. Elle est épuisée. D’avoir trop marché, trop parlé ou d’avoir trop erré, qui sait. Elle est belle, je l’ai déjà dit. De longs cheveux bruns. De longues et fines jambes. Je me demande quelle partie de son corps je préférerai. Quel nom peut-elle bien porter ? Si j’étais son créateur, quel nom aurai-je bien pu lui donner ? J’avais oublié le plaisir de regarder dormir la femme que l’on désire. Cette impression d’être seul au monde, d’être le gardien d’un trésor mille fois convoité, cette sensation d’incapacité extrême. Incapacité à retenir le temps qui s’enfuit car les mortes amoureuses finissent toujours par se réveiller. 

 

Lorsque la nuit fut bien avancée, je me suis résolu à abandonner mon poste de surveillance pour reprendre le livre. Aucune indication n’y est inscrite. La reliure n’est pas très jolie. Je ne saurais pas dire pourquoi mais ce livre m’intrigue, me fascine presque.

A peint l’ai-je ouvert que la jeune fille se réveille, se redresse d’un bond et me fixe comme jamais personne ne m’avait regardé. Il y a dans ses yeux une telle absence que j’ai l’impression que je vais me noyer. Puis soudain, elle se met à hurler, à hurler comme une furie. Son cri va presque crever mes tympans. Je referme le livre et enfin elle se tait.

Elle me fixe toujours. Je ne sais pas quoi dire. J’ai pourtant la certitude qu’il faut que je fasse quelque chose, que je dise quelque chose. L’absence de ses yeux s’est transformée en une peur panique. Puis, d’un geste, elle se lève, traverse la pièce et prend la porte. Je la vois sortir de la maison en courant, s’enfoncer dans les bois et disparaître.

Je vais l’appeler Marie.

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B
Merci pour le lien vers mon blog.<br /> Je vais faire de même dès que possible, sans doute dans le week-end.<br /> Sinon, c'est un problème de navigateur l'affichage des dialogues sous cette forme ?<br /> -         bla bla bla <br />  
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E
On va t'appeler maître Noriadoc bientôt. ^^
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V
Quel suspens!!! J'adore !!<br /> Les sentiments, les sensations de Gaspard sont extrêmement bien décrites.<br /> Vivement samedi prochain.
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L
c'est bien palpitant!!! continue donc, c'est long jusqu'à samedi!!! pifff!<br />  
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