Introduction

Publié le par GOIDH

Une chose était sûre, Gaspard avait disparu.

 

 

Lorsque je le rencontrai pour la première fois, derrière le square des Frères Malandins, il semblait absorbé par quelque invisible fantaisie, prétexte sans doute à une évasion nécessaire mais interdite. Nécessaire, parce que Gaspard appartenait à cette espèce d'hommes qui ne sont heureux nulle part, même auprès des leurs.

J'étais horriblement pressé, comme d'habitude, la dizaine de manuscrits contenus dans ma sacoche pesaient lourdement sur mon côté gauche et la neige qui ne cessait de tomber depuis trois jours rendaient mon cheminement difficile. Ce quidam, un peu rêveur, occupé à rien en plein milieu de l'après-midi, ne retint mon attention qu'une seconde ou deux, pas plus. Je fis avec lui comme avec n'importe quel passant, je le fis entrer dans ma mémoire et le digérai aussi sec.

Mais il revint.

Chaque jour, à la même heure, au même endroit, à la même position, dans la même attitude. Je finis par m'habituer à lui comme on s'habitue au chêne centenaire du parc municipal, à l'officier de faction au centre du carrefour. Il était devenu pour moi un étranger familier.

Puis il disparut.

Commença alors pour moi une phase curieuse où chacune de mes pensées égarées se dirigeaient naturellement vers lui, comme si je ne pouvais pas rêver d’autre chose. Puis je finis par m’habituer à son absence. Il était pour moi un mystère parmi tant d’autres ; je passai à autre chose.

 

 

 

Il se passa à peu près un an. J’étais devenu quelqu’un d’important dans ma branche et je mettais enfin au jour le projet du GOIDH qui trottait dans ma cervelle depuis de longues années. J’avais embauché une secrétaire, une jeune qui ne connaissait rien du tout au métier mais qui possédait une facilité à ne pas réfléchir qui la rendait absolument unique. Elle répondait au téléphone avec plus de rigueur que l’horloge parlante, classait lettres et documents sans jamais lever les yeux de sa tache, ne posait jamais de question, ne parlait jamais, ne revenait jamais de sa pose une seconde trop tôt ou une seconde trop tard, ne réclamait aucune augmentation ni de congé exceptionnel.

Ce jour-là, j’arrivai à mon bureau, saluai ma secrétaire, en remerciant le ciel de ses qualités et entrai dans mon bureau. Mais à l’instant où je poussai la porte, une voix m’interpella :

 

 

-         Monsieur le directeur, pourriez-vous jeter un œil à ceci.

 

 

Sa gêne fut proportionnelle à ma stupeur. Nous avions l’air de deux imbéciles, elle, rouge, une enveloppe marron serrée contre elle et moi, la poignée de la porte dans la main gauche et la sacoche dans la droite, à deux mètres l’un de l’autre, et pas un mot qui ne sortait de nos bouches.

Elle fit preuve d’un courage que je ne lui supposai pas et s’approcha pour me tendre, tremblante, la fameuse enveloppe de ce naufrage.

Il n’y avait ni timbre, ni adresse, juste une indication au dos, en lieu et place de l’expéditeur :

 

 

                                          Gaspard du square des Frères Malandins

 

 

Il ne me fallut pas plus d’une seconde pour me souvenir de lui. J’ouvris l’enveloppe sans attendre et ne trouvai qu’un mot, écrit sur un carton à l’en-tête du Café royal, un établissement que je fréquentai régulièrement car il se trouvait en bas de mon immeuble. On ne pouvait y lire qu’une seule phrase manuscrite : Monsieur, si vous vous souvenez de moi, ne m’oubliez pas.

 

 

  

Je ne sais pas trop comment il faut réagir dans ces cas-là ; je veux dire comment un autre que moi aurait-il réagit, je n’en ai aucune idée. Pour ma part, je fonçai quatre à quatre dans l’escalier et m’engouffrai au Café royal. A cette heure matinale, il n’y avait pas encore grand monde. Seule une table était occupée par deux femmes d’âge mur qui prenaient des forces avant le grand rush des soldes. Je m’avançai vers le barman et lui fis la description de Gaspard. L’homme devait trop lire de romans policiers car il fut immédiatement captivé par ma requête et quitta son poste pour me guider jusqu’à la table qu’avait occupé, un quart d’heure auparavant, un homme ressemblant à mon homme.

Sans savoir ce que je cherchais, je me mis à la recherche d’indices, sous les yeux fascinés d’une Bovary des polars.

Sous la banquette se trouvait une enveloppe kraft, semblable à celle déposée dans ma boite aux lettres. En guise d’adresse, une seule indication y était mentionnée : Pas avant le samedi 21 octobre.

Chapitre suivant

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Belle ambiance en tout cas pour ce début. C'est prometteur mais encore faut-il tenir jusqu'au bout. J'attends donc la suite ... avec impatience.
Répondre
L
hummmmm!!!!!, bertrand! la suite!  gaspard a disparu?  gaspard de la nuit? bisous!!! et continue!!!
Répondre
P
En effet, très accrocheur ... vivement la suite.
Répondre
E
L'hameçon à lecteur est lancé! COmme je suis de nature curieuse, plus le mystère est épais et plus la lecture est délicieuse... la suite, donc!E. aka Schmill
Répondre