Chapitre DIX : Les choses qui ont un nom

Publié le par Gaspard

Ce jour-là, tout s’accéléra. On apprit des choses dont on ne soupçonnait même pas l’existence. On n’en soupçonnait même pas l’existence parce qu’elles nous paraissaient insignifiantes. Elles nous paraissaient insignifiantes par elles n’étaient que du luxe.

Ce jour-là, tout s’accéléra.

 

Armoire normande : n.f. 1) meuble de rangement, à tablettes, fermé par des portes. 2) Type dont la carrure et l’électroencéphalogramme rappellent une armoire normande.

 

Il avait un nom. Il s’appelait Jérôme. Pas Maurice ni Raoul ni Nénesse, non. Jérôme. Etonnant pour une armoire normande. Il venait du centre du pays, de là où l’on trait les vaches et l’on garde les moutons.

Un jour qu’il partait pour un entretien d’embauche, il s’est trompé de rue et est entré rue des pendus et…voilà. C’est Suzie qui l’a pris sous sa grosse aile. Comme il ne savait pas faire grand-chose, il est devenu cerbère. Et il fait son boulot plutôt bien.

 

Il entre, vêtu d’un jean et d’un T-shirt blanc de camionneur et portant un sac de sport aux couleurs de Saint-Etienne, les vrais, ceux de 1976.

 

- Salut ! fit-il en me tendant une paluche lourde comme un frigo américain.

-Salut ! je lui fais en tendant une main si ridiculement petite qu’on dirait celle d’une comtesse.

-Salut Suzie !

-‘lut Jérôme.

-Je vais me changer.

-Va.

 

Et l’armoire normande disparaît. Elle est bientôt suivie par un pilier, un vrai.

 

Pilier : n.m. 1) tout support autre que la colonne. 2) personne qui sert de base à quelque chose, qui en assure la stabilité. 3) personne qui passe beaucoup de temps dans un lieu, qui n’en bouge guère.

 

C’est un petit type en imperméable qui semble se mouvoir selon un système bien particulier. Il s’appelle Serge. Son histoire à lui, personne ne la connaît. Il a l’alcool muet. Sa vie accoudée, il la passe au bout du comptoir sur la droite. C’est même le seul endroit du bar qui soit propre et ciré. La légende veut qu’il soit là depuis toujours et que l’on ait construit la Perruche verte autour.

 

-Salut fils.

-Salut.

-Salut Suzie. Tu me sers une suze, s’il te plaît.

-Ca roule, Serge.

 

Jusqu’au moment de l’ouverture vingt-quatre heures plus tard, il ne prononcera plus un mot. Il passera les heures, stoïque comme une statue grecque, le regard lourd plongé dans l’infini, tandis que son verre se videra puis se remplira de nouveau. Parfois, il sortira un paquet de cigarettes des entrailles de son imperméable. Il passera la main derrière le comptoir pour emprunter un briquet et personne ne lui dira rien. Il est chez lui, ici.

 

L’armoire normande réapparaît soudainement, habillée de circonstance. Elle ne salue pas le pilier qui, à son tour, ne lui répond pas. Elle va s’installer à son bureau à côté de l’entrée.

 

Un quart d’heure plus tard un acajou débarque, pressé comme un chat que l’on étrangle.

 

Acajou : n.m. 1) arbre des régions tropicales dont il existe plusieurs espèces appartenant à des genres différents. 2) piètre conducteur.

 

Il salue l’armoire normande vite fait, bien fait, ne fait pas gaffe à moi, s’assoit sur un tabouret.

Suzie, qui connaît la chanson, a déjà ouvert une bouteille de rouge et rempli un ballon.

Il s’appelle Pablo, c’est le seul taxi de la rue des pendus. Il en connaît les moindres recoins et pourtant il est arrivé ici par erreur en cherchant une rue qu’il n’a jamais trouvée. Ses clients sont en général des alcooliques qui ne peuvent pas marcher jusqu’à chez eux ou des feignants qui n’en ont pas envie. Parfois, il ramasse un nouveau venu qui n’a pas la chance d’être guidé par Gros Louis et Jack la Pince.

 

-C’était une bonne soirée, Suzie, hein ?

-Pour sûr.

-J’ai fait un tas d’affaires. Rien que raccompagner les couples, ça m’a rapporté un paquet.

-Sûr. Les couples du bal des nazes, c’est d’l’or en barres.

-Pourquoi ? demandai-je histoire de demander quelque chose.

-Parce qu’ils sont pressés de profiter de leur jeunesse avant que le soleil se lève. Alors, je roule à fond et je repars en chercher un autre, puis je roule à fond et je repars en chercher un autre.

-T’as pas eu d’accident, c’te fois ?

-Attends ! C’est pas ma faute , j’te jure ! y’a un chien qui a traversé pile au moment où j’arrivai sur le passage piéton. J’ai donné un coup de volant, je me suis embouti toute l’aile gauche.

-Tu l’as retrouvé ?

-Qui ? Le clebs ? Pas encore. Mais je te jure que si je le retrouve, je lui fais cracher son chéquier.

 

On laisse passer un silence pour lui assurer tout notre soutien.

 

-Oh, petit, t’as quelle heure ?

-Bin…

-Je suis à la bourre. Allez ciao Suzie !

 

Il s’en va en courant et démarre en trombe. Sortez vos morts.

 

Une heure plus tard, c’est un lampadaire qui débarque à la Perruche verte.

 

Lampadaire : n.m. 1) Dispositif d’éclairage d’appartement ou de voie publique, à une ou plusieurs lampes montées sur un support élevé. 2) Faux prophète.

 

Je crois que son nom est Socrate, Locke ou Jean-Michel. C’est un échalas pale et à la santé fragile. Il porte toujours une canne, un galurin et un livre qu’il fait semblant de lire.

 

-Môdame, mes hommages.

-‘lut.

-Môssieur.

-Monsieur.

-Quelle belle journée, allons nous avoir. Après une fort belle nuit.

 

Comme j’écris tout ceci de tête, j’ai parfois un mal fou à retranscrire fidèlement les conversations. Surtout dans ce cas précis qui nous préoccupe. Je vais donc vous faire un résumé.

En gros, il m’a démontré par A+B que l’homme ne descendait pas du singe mais avait été créé par des puissances supérieures pour dominer le monde. Et quand je lui demandai :

 

-Mais quelles sont ces puissances supérieures ?

 

Il me répondit :

 

-Les huîtres.

-Les huîtres ?

-Les huîtres.

 

En réalité, les huîtres n’ont pas le cerveau ramolli comme on pourrait le croire. Elles possèdent une intelligence qui dépasse le sens commun. Elles ont réussi à modeler l’homme rien que par la force de la pensée. Nous faisons alors le travail à leur place et nous avons pratiquement achevé leur plan de domination de la planète.

Parfois, elles décident d’accorder un don à des humains qui se sont montrés particulièrement efficaces. Elles nous commandent alors de les ingérer vivantes et une fois à l’intérieur de nos corps, elles prennent le contrôle de nos cerveaux, nous rendant ainsi plus intelligents, plus ouverts, plus libres. Voilà pourquoi les marins font les plus grands poètes.

 

La fine équipe est au complet. Il ne manque à ce beau tableau que nos deux inénarrables compères mais Suzie m’affirme que le lendemain du bal des nazes, on ne les voit jamais avant midi.

Les autres clients ne sont que de passage, les alcooliques, les drogués, les putes et les maquereaux, les cinglés, les dépressifs et les suicidaires. Tout pourrait continuer comme ça jusqu’à la fin des temps.

Oui, mais.

 

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Publié dans La Rue des pendus

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O
Piccolo : n. M. 1) signifie "petit" en italien. 2) instrument de musique, petite flute. 3) voilier à bouchains vifs construit en contreplaqué marine. 4) personnage du manga "Dragon Ball". 5) Ange Picolo est un politichien Franzais. 6) vin tradionnel de la région ouest parisienne, cousin proche du piquet ou piquette. 7) vieil oncle indigne amateur de picole lors du nouvel an.Bona annada a tu papa de Gaspard ! Santat, amor, amistat, bonur e moneda.2007 poutounousa léu...
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G
Bonne année à toi, l"oncl'