Le Grappin

Publié le par Le Curé d'Ars

Ars n’est pas une grande cité mais lorsque l’on doit visiter plusieurs de ses ouailles, on rentre fourbu et lessivé. A peine la porte de ma chambre passée, je me suis mis au lit et je me suis endormi, certain de dormir du sommeil du juste. Et alors que j’avais juste fermé les yeux, j’entendis le bruit caractéristique du clou que l’on enfonce dans un mur.

En temps normal, j’aurais congédié le charpentier sur le champ mais il était de ceux que l’on ne congédie pas, du moins par les moyens conventionnels. Car ce charpentier là était le Grappin.

 

 

 

- Alors, petit curé, dit-il, on n’arrive pas à dormir ? Veux-tu que j’enfonce du persil dans l’oreille.

- Laisse-moi, le Grappin, va donc torturer quelqu’un d’autre.

- Toi, tu veux que j’aille torturer une de tes chères ouailles ? Ce n’est pas très chrétien, curé.

 

 

 

Et le Grappin continua à enfoncer un clou dans un mur.

Mon père était menuisier et j’avais passé la plupart de mon enfance à supporter ces coups sourds qui faisaient trembler les murs de ma chambre. Ce n’est pas ça qui m’empêcherait de dormir. Je rabattis donc ma couverture sur moi et m’enfonçait le coussin sur la tête. Sitôt après les coups de marteau cessèrent.

Depuis le temps qu’il hantait mes nuits, j’avais appris à le connaître. Il n’était pas de ceux qui abandonnent facilement.

Il se passa quinze minutes avant qu’il revienne monté sur un cheval de son imagination.

 

 

 

- Tagada, tagada, tagada, hue ! fit-il en déambulant autour de la pièce mimant un cavalier la jambe en l’air et tenant des rênes invisibles.

 

 

 

Je n’avais pas vécu dans un haras. Je ne pus trouver le sommeil.

 

 

 

- Tagada, tagada, tagada, hue ! Je te prends en croupe petit curé ?

- Non merci. Il n’y a pas de place dans mon humble chambre pour une cavalcade. Si tu pouvais aller continuer dehors.

 

 

 

Ce n’était qu’une simple tentative que je ne pensais pas voir aboutir. Il stoppa net son cheval et fit une moue déçue. Il ouvrit la porte et la claqua derrière lui.

L’avais-je vexé ? S’était-il lassé ? Je n’osais l’espérer.

Je me retournai dans mon lit et fermai les yeux.

 

 

 

Dix minutes plus tard, ma chambre fut prise d’assaut par un corps de cavalerie tout entier.

 

 

 

- Tari tari tari ! Taïaut ! Sus à l’ennemi ! Formez le bataillon !

 

 

 

Assailli par la surprise, je tombai de mon lit. Les cris des cavaliers et les bruits de sabots venaient de partout dans la pièce. Il n’y avait pourtant que le Grappin qui avançait en sautillant et le bras tendu comme s’il avait tenu un sabre.

 

 

 

- Pourquoi fais-tu tout cela ?

- Mais parce que je t’aime bien, petit curé. Il faut bien te distraire, ta vie est tellement triste.

- Elle n’est pas triste. Je suis dévoué à mon Seigneur.

- C’est bien ce que je dis, c’est triste. Je suis quand même un Seigneur plus amusant que le tien.

- Je n’ai pas à entendre ça. A présent, si tu voulais bien partir, j’ai eu une journée harassante et j’ai grand besoin de sommeil.

 

 

 

Je fis mine de m’endormir tandis qu’il partait en faisant peser lourdement ses jambes sur le sol. Je profitai enfin de quelques temps de solitude. Comme je n’avais plus sommeil, j’eus recours à la méthode habituelle et je commençai à compter les moutons. Je devais en être à vingt ou vingt-cinq quand j’entendis le bêle de plusieurs moutons. J’ouvris les yeux, certain d’être en proie à une hallucination et je découvris le Grappin assis à quatre pattes au pied de mon lit et bêlant à tue-tête.

 

 

 

- Maintenant ça suffit ! Vade retro Satanas !

- Oh là ! Voilà que l’on me sort les grands mots ! Mais pour qui me prends-tu ? Pour un démon de troisième zone ?

 

 

 

Je fus terrifié. Depuis des mois qu’il venait me voir chaque nuit, celui que je nommai le Grappin ne s’était jamais mis en colère. Il m’agrippa par les pieds, me sortit violemment du lit et je tombai lourdement sur le plancher.

 

 

 

- Tu crois que tu peux m’ordonner quoi que ce soit ?

- Non, non, ne te fâche pas. J’ai eu une longue journée…

- Je n’ai que faire de tes excuses. Tu l’auras voulu, tu m’as mis en colère.

 

 

 

Et il partit après avoir donné un violent coup de pied sur mon bénitier qui se fracassa sur le sol.

Je ne revis plus jamais le Grappin. Mes nuits sont maintenant plus silencieuses que jamais.

Je ne dors plus une seule minute.

 

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