Monsieur Bertrand

Publié le par Raoule de Vénérande

Mon nom de baptême, c’est Bertrand mais dans mon petit bled des confins de l’Aveyron, tout le monde m’appelle Monsieur Bertrand. Parce que pour les gens du coin, je suis quelqu’un, moi. Déjà quand j’étais petit, j’étais célèbre dans tout le patelin sous le sobriquet de Bébert-trompe-la-mort. Il n’y avait pas un danger que j’eusse affronté, pas un défi qui put me résister.

Très vite, j’ai compris qu’un talent comme le mien pouvait me rapporter gros. Je pris donc l’habitude de ponctuer chacune de mes nouvelles expériences de quelque pari.

C’est ainsi que je me découvris un deuxième talent. J’avais le don de délaisser le peuple de ses économies.

Plus ma réputation augmentait plus ma fortune s’épaississait.

 

 

 

Les années passèrent, j’étais marié, j’habitais une grande maison sur la colline et ma renommée suffisait à m’ouvrir les portes les plus closes.

 

 

 

Or, un jour que je passai à un carrefour, Satan, sans doute attiré par mon orgueil, m’accosta.

 

 

 

- De quelle périlleuse aventure rentres-tu donc ?

- Mais d’aucune. Mon or me suffit largement pour vivre et j’ai plus besoin de tromper la mort ou de défier le hasard pour remplir ma bourse.

- Tromper la mort ? Défier le hasard ? Ne parle pas de choses que tu ne connais pas.

- Parce que tu les connais peut-être ?

- Moi ? Ignores-tu que, comme celui qui règne Très-Haut, je connais toutes les choses ?

- J’avoue que je l’ignorais. Et pour tout t’avouer, j’en doute.

- Tu en doutes ? Mais, petit présomptueux, j’ai condamné aux cercles de l’Enfer pour moins que ça.

- Ne te fache pas, noble Satan. Je voulais juste de faire remarquer que tu ne connaissais pas toutes les choses. Je suis même prêt à le parier avec toi.

- Faire un pari ? Avec moi ? Et quels en seraient les enjeux ?

- Mon âme, je suppose. C’est ainsi que tu procèdes d’habitude, non ?

- Tu es bien au courant… Et j’imagine qu’en échange, tu voudras la jeunesse éternelle ou la pierre philosophale ?

- Pacotilles que cela ! Je veux de l’or.

- De l’or ? Mais il parait que tu n’en manques pas.

- Qu’importe ! Si tel est mon désir !

- Soit. Et comment me prouveras-tu qu’il existe une chose que j’ignore ?

- Je te montrerai un animal que tu n’as jamais vu.

- Impossible ! Depuis le temps que je me promène à la surface, j’ai rencontré tout ce qui vit, qui rampe, qui marche et qui vole.

- Tu refuses donc de parier ?

- Bien sûr que non puisque tu y tiens. Tope-là.

- Tope-là. Rendez-vous ici demain soir.

- Hé là ! Pourquoi ce délai ?

- Il faut bien me laisser le temps de chasser, mon Seigneur !

- Soit. A demain, donc.

 

 

 

Il disparut aussi sûrement qu’il était venu et je rentrai chez moi. Ma femme me fit la leçon, elle n’aimait pas que je rentre tard.

 

 

 

- Si je te disais… J’ai fait le pari le plus audacieux de ma vie.

- Encore ! Tu vas y perdre ton âme un de ces jours !

- Tu ne crois pas si bien dire. Mais cette fois, c’est différent. Car la réussite de l’entreprise ne dépend que de toi.

 

 

 

Comme on s’en doute, j’avais déjà mon idée. Le lendemain, j’expliquai à mon épouse la situation en quatre mots et lui ordonnai sur le champ de se déshabiller. Puis à l’aide d’un grand pinceau, je l’enduis entièrement de miel, de pied en cap. Je la conduisis au poulailler où je la roulai sur un tas de plume. Ensuite je me munis de la plus belle corde que je pus trouver et la nouai autour du cou de ma bien-aimée. Elle se mit à quatre pattes et je l’emmenai comme une chèvre que l’on va vendre au carrefour pour le rendez-vous. Le diable était déjà là, assis, les ailes bien écartées, occupé à je ne sais quelle besogne.

Quand il vit mon épouse, le diable fut surpris. Il la contempla sous toutes les coutures et dut admettre la vérité.

 

 

 

- Eh bien, je n’ai jamais encore vu de ces volatiles ayant la queue aussi verte en cette saison.

 

 

 

Il me remit un épais sac d’or et se retira, confus d’avoir perdu. Et tandis que je comptais mes louis d’or, assis sur le dos de ma femme toujours à quatre pattes, celle-ci n’osait bouger et serrait le derrière de crainte que le poireau ne s’en échappât.
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R
oh c'est moi!!!
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