Chapitre SIX : Temps incertain sur fausse attaque

Publié le par Gaspard


J’ai mal dormi.

Mon crâne est éparpillé sur le plancher de mes souvenirs. Le jour est jeune, la nuit a du passer par là. Apparemment mon agresseur n’a pas osé me réveiller et m’a laissé dormir. Il a quand même eu l’obligeance de refermer la porte derrière lui. Peut-être s’était-il égaré ? Car il a également fouillé mon sac à dos qui ne contient qu’un guide de la capitale. Peut-être cherchait-il autre chose ? Le livre évidemment. Il a du être bien déçu. Il s’est introduit chez moi, a déballé tout ce qui s’y trouvait sans obtenir satisfaction et a décidé de m’attendre pour me demander des comptes. Il doit être de ces gens qui ne savent pas bien s’exprimer. Il ne faut pas lui en vouloir, ce n’est pas donné à tout le monde.

Si je n’avais pas échangé ma montre, elle se serait sans doute brisée dans la chute et n’indiquerait désormais que l’heure de ma mort. Fort heureusement, je m’en suis séparé et je ne suis donc pas mort. Juste un peu sonné et mes idées ont du mal à se mettre en place.

L’homme à la moustache brune – car il ne fait aucun doute sur son identité – cherche donc à mettre la main sur le livre. Pour quelle raison ? Soit il en sait plus que le peu qu’il m’a dit l’autre soir, soit il souhaite utiliser son étrange puissance à de sombres desseins. Il faut que je l’en empêche.

Sans prendre le soin de me changer, de me soigner, je plongeai dans l’escalier et avalai les rues, cavalai jusqu’à la gare qui poussa devant moi comme un champignon.

Mon ennemi est là, je peux sentir son souffle sur ma nuque. Mais où se cache-t-il dans cette ruche vagabonde ? J’ai l’impression que où que j’aille, je le trouverai toujours sur mes pas, la main tendue vers mon dos, prêt à l’impossible. Retourner à Lac aux sables est une sottise. Cela ne ferait qu’indiquer où se trouve le livre.

 

En faisant bien attention à passer aperçu, je me dirigeai vers le tableau d’affichage et je choisis un train à destination de la ville de ***, située à l’opposé de Lac aux sables. Comme le train ne partait que dans un quart d’heure, je pris le temps de souffler. Je laissai passer les gens devant, fus poli avec les vieilles dames, j'allais peut-être m’acheter un magazine.

Hélas ! Cent fois hélas ! Je n’ai pas pensé à prendre de l’argent. Il aurait fallu que je passe mon temps à feuilleter les revues sans me faire remarquer par le vendeur ou que je fasse les cent pas sur le quai. Je choisis la deuxième solution.

Sur le quai numéro 3, il n’y a que deux personnes. Un vieux monsieur qui lit le journal et un adolescent, écouteurs sur les oreilles.

Lorsque le train finit par arriver, j’étais en train de me demander ce que je faisais là. Mes idées ont du mal à se remettre en place. Sans réfléchir, je décidai de faire demi-tour. Mon ennemi me suivit, j’en ai la certitude.

Il fallait que je l’occupe, que je le pousse à se dévoiler mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je rentrai donc dans la première boutique et fermai la porte derrière moi.

 

* * * * *

 

J’ai mal dormi.

La centaine de lames qui s’offraient à moi ne me laissèrent pas le choix : j’étais bel et bien entré dans un magasin pour escrimeurs. Un moustachu à la belle moustache m’accueillit d’un adage décidément bien rentabilisé. Je lui répondis que non, que je n’avais pas besoin de son aide, même si celle-ci était gentiment demandée. Je me contentai pour l’instant de musarder.

De l’autre côté de la vitrine, les passants passaient sans faire hurler la rue. Je devinai que mon ennemi était là, dissimulé parmi la foule, guettant chacun de mes gestes, chacun de mes pas. Je devais gagner du temps. J’en profitai donc pour jeter un œil à la boutique.

Les épées se suivent et se ressemblent. Il me fallut toute la concentration du monde pour retenir ma mâchoire qui tendait désespérément vers le bâillement. Fort heureusement, mon œil fut attiré par une gravure négligemment accrochée sur un mur.

Elle représentait deux escrimeurs, vêtus de blancs, une épée dans la main droite et une autre épée, beaucoup plus courte, dans la main gauche. Ils se tenaient à l’intérieur d’un cercle dessiné à la craie sur le sol et ne semblaient pas vouloir en sortir.

 

- Ah, monsieur est connaisseur, me dit le moustachu à la moustache.

- Pas vraiment, non. Que font-ils ? On dirait une arène pour sumotori.

 

Il y eut un silence d’étonnement qui se mua en un éclat de rire chaleureux mais non partagé, par moi, je veux dire.

 

- C’est la première fois que l’on me dit cela ! Mais vous n’avez pas tout à fait tort. Ce cercle est une sorte d’arène. C’est une épreuve difficile qui ne doit pas être prise à la légère. Seuls deux bretteurs chevronnés peuvent y entrer car lorsque l’on s’y trouve, rien ne peut nous en faire sortir si ce n’est l’épée. Le cercle agit sur les âmes comme une barrière invisible…

- Et que l’on ne peut pas franchir.

- Tout à fait.

- Vous êtes déjà entré dans un cercle ?

- C’est assez difficile de répondre à votre question. Je dirai : oui et non. Je n’ai jamais combattu dans un cercle, une épée à la main. Mais l’on trouve des cercles partout dans le monde, et ils ne sont pas tous tracés à la craie.

- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez.

- Pardonnez-moi, je suis un peu rêveur.

 

Le moustachu à la moustache s’éloigna de moi pour vaquer à ses occupations. Apparemment, je l’avais vexé.

La gravure m’hypnotisait. Au bout d’un moment, je fus certain qu’elle aurait une importance cruciale dans l’aventure qui me préoccupait. Il fallait donc que je fasse en sorte de la garder près de moi, au cas où. Je la décrochai du mur et l’apportai au vendeur.

 

- Mais, c’est que cette gravure n’est pas à vendre.

- Pourtant, il me la faut. Votre prix sera le mien. Et réciproquement.

- Non, décidément, non, rétorqua-t-il après un instant d’hésitation. Elle est juste là pour l’ambiance, je n’ai jamais pensé que quelqu’un voudrait l’acquérir.

- Parce que vous avez une clientèle de connaisseurs et que je suis un ignorant. Seul un ignorant se démènerait pour acheter une gravure qui n’a aucune valeur.

- Attendez ! Comment savez-vous qu’elle n’a pas de valeur ?

- Mais je n’en sais rien, je vous dis. Je suis un ignorant.

- Et bien moi, je pense qu’elle en a et je ne vous la céderai qu’au prix fort.

- Et qui s’élève à … ?

 

Le moustachu à la moustache se mit en position de réflexion. N’est pas vendeur de gravure qui veut.

A son regard, je pouvais deviner que les prix les plus farfelus lui passaient par la tête. A ses plis sur le front, je pouvais deviner que cette opération le torturait. Choisir un prix suffisamment élevé pour faire une affaire et suffisamment bas pour ne pas me dégoûter de l’acheter.

J’aperçus alors un épais volume de cuir sur une étagère. On pouvait lire sur la couverture : « Dictionnaire exhaustif des termes d’escrime ». J’ignore pourquoi mais je voulus ce livre plus que tout au monde.

 

- Ecoutez. Finalement, je ne veux plus de cette gravure. Je crois que je vais plutôt acheter ce dictionnaire, là.

 

Mine de rien, je venais de lui sauver la vie à mon moustachu. Il n’aurait jamais pu trouver solution à l’énigme qui le tourmentait. C’était au-dessus de ses compétences. L’effort aurait fini par l’achever. Pour le livre, il n’y avait pas de contestation possible. Le prix était écrit suffisamment gros.

 

- Excellent choix, monsieur. Vous deviendrez incollable sur notre petit monde.

- Mais j’espère bien. Je ne sais pas pourquoi mais j’espère bien.

- Tenez. Comme c’est votre premier achat dans notre boutique et dans l’espoir de vous voir revenir très bientôt, je vous offre la gravure. Si, si, ça me fait plaisir.

 

C’est surtout parce qu’il avait peur qu’un client comme moi revienne. Il avait frôlé la lobotomie spontanée, il ne tenait pas à courir le risque une deuxième fois. J’acceptai toutefois le cadeau de bon cœur et m’en allai.

 

* * * * *

 

J’ai mal dormi.

Je suis rentré à mon hôtel. La chambre avait été rangée. Je me suis affalé sur le lit et j’ai lu le dictionnaire. Entièrement.

J’ai fait une découverte extraordinaire. Pas dans le dictionnaire. Je l’avais sous les yeux depuis le début. On dit que le hasard n’existe pas. Je devais donc être destiné, ou quelque chose comme ça, à entrer dans cette boutique.

C’est en jetant le dictionnaire par terre après l’avoir lu que mon guide de la capitale s’est ouvert sur un plan d’ensemble. La ville est construite en neuf cercles concentriques. Ma chambre d’hôtel se trouve dans le plus grand. Je dois parvenir au plus petit. Là, j’y trouverai un adversaire qu’il me faudra vaincre. Je ne sais pas encore ce que cette victoire m’apportera mais c’est ce que je dois faire je le sens. L’homme à la moustache brune et moi sommes engagés dans un duel dont seul l’un d’entre nous sortira vivant. Il m’a porté la première attaque et j’ai bien failli y passer. Heureusement que j’ai vite réagit. C’est à son tour de nouveau. Que va-t-il faire ?

 

Je sens près de moi des ombres qui me guettent. Des ombres nouvelles que je n’attendais pas. Comme moi, elles suivent le fin diamètre invisible qui nous guide.

 

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Publié dans La Rue des pendus

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A
Je me suis inscrite à ta newsletter. Je trouve ce que tu écris passionnant, mais j'ai la tête tellement pleine que j'oublie de venir. Ainsi, je vais avoir un aide-mémoire.
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Z
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