Chapitre TRENTE-HUIT : Cipango l'étrange

Publié le par Gaspard

La voiture glisse sur les falaises comme une hirondelle. Elle s’envole à chaque courbe, danse sur la ligne blanche. Mais lorsqu’elle rate un virage ou un pas, elle dégringole comme une pauvre petite chose. L’explosion qui s’en suit est très euphorisante.

 

 

 

- Voilà, une bonne chose de faite, déclare Emma.

- Oui. On va enfin pouvoir profiter du paysage.

 

 

 

Depuis que nous avions débarqué à Cipango, 48 heures auparavant, cela n’avait été que bagarre, poursuites, coups de feu, combats d’épée et j’en passe… Mais à présent, notre dernier ennemi se trouvait au fond d’un ravin occupé à fondre avec la garniture plastique de son automobile. Les vraies vacances commençaient.

 

 

 

- Allez, Gaspard, ne traîne pas. Il faut qu’on soit à Kyoto avant une heure.

 

 

 

Emma était déjà au volant de sa Mustang Mach 1 et la faisait ronronner. Je ne sus pas refuser. L’instant d’après nous roulions à près de 200. A ma mine déconfite, elle répondit par un sourire tout en légèreté. Nous ne partagions pas le même engouement pour son V8 351 Windsor.

 

 

 

- Tu as réservé l’hôtel ?

- Bien sûr que non. Tu t’es toujours refusée à…

- Je sais. Je voulais juste savoir.

 

 

 

Ce qu’elle pouvait m’énerver lorsqu’elle ne me faisait pas confiance. C’est sûr, elle en avait bavé beaucoup plus que moi et son expérience lui dictait de se méfier de tout le monde. Mais je lui avais prouvé des tas de fois par le passé que j’étais un allié fidèle.

 

 

 

- Tu fais encore ta tête de lard ?

- Hein ? non. Pourquoi tu dis ça ?

- Je t’entends ruminer d’ici !

- Comment tu peux m’entendre penser avec tout ce boucan ? Moi, je suis obligé de hurler pour te parler !

- Tu as dit « boucan » ? Tu appelles le ronronnement d’un chat, un « boucan » ?

- Je croyais que c’était un cheval !

- Très amusant. Non, je t’assure, c’était très drôle. Beaucoup plus drôle que les conneries que tu racontes d’habitude.

- Tu pourrais tuer pour avoir un humour aussi fin que le mien.

- Possible. En tout cas, j’espère que pour la prochaine décennie, tu oublieras ton sale caractère.

 

 

 

Quarante-trois minutes plus tard, nous arrivions à Kyoto. Ni l’un ni l’autre n’y avions déjà mis les pieds mais il ne fallut pas cinq minutes à Emma pour retrouver son chemin.

 

 

 

- Je te laisse à la gare. Mon rendez-vous n’est pas loin.

 

 

 

C’aurait été stupide de demander de l’accompagner. C’est évident. Mais je l’ai fait quand même. Sa réponse ne mérite pas de figurer dans ces lignes.

Les préparatifs de la nouvelle année allaient bon train. Il était curieux de voir qu’un pays aussi fier que Cipango adoptait sans contrainte les coutumes occidentales. Emma pouvait en avoir pour longtemps, je m’assis sur un banc à l’extérieur. Si elle m’avait fait entièrement confiance, elle m’aurait sans doute emmenée avec elle. Même si son employeur lui avait demandé de venir seule. Grâce à sa réputation, Emma pouvait se permettre de faire quelques entorses au règlement.

Une détonation éclata.

Je saisis mon S&W 60. Ce n’était qu’un gosse qui jouait avec des pétards. Heureusement que personne ne m’a vu.

Je suis encore nerveux. Rochefort est pourtant mort. Sa voiture a plongé dans le ravin. Et il n’a pas pu en sortir. Non, nous ne sommes pas dans un James Bond. Je fais pourtant une cible facile. Emma n’est pas là pour me protéger. Je vois pourtant encore la moustache de Rochefort se rapprocher et me dire doucement : « Gaspard, je vous tuerai autant de fois qu’il en sera nécessaire ».

Ca y’est, ça me reprend. Putain de mal de tête. Ma vue va encore se brouiller. Je vais voir à travers.

Le ronronnement de la Mustang s’approche. Elle descend toute habillée de cuir.

 

 

 

- T’as une sale gueule !

- Merci.

- Toujours ton mal de tête ?

- Oui, c’est atroce.

- Où sont tes médocs ?

- Le tube est vide.

- T’es con ! Faut en acheter un autre.

- Pas la peine. Ils ne me font rien.

- Tu vas quand même pas rester dans cet état ?

- T’inquiète. Je vais assurer…la mission…

- Je m’en contrefous de la mission. C’est toi qui importes.

- Menteuse.

 

 

 

Elle ne mentait pas. Emma m’aimait tellement qu’elle aurait abandonné un contrat d’un million de dollars pour moi. Et pourtant, il n’y avait qui l’excitait plus que l’argent et le risque. C’était le grand mystère de ma vie.

 

 

 

- Ca va déjà mieux… Alors ?

- Alors ? Je vais te dire alors. C’est pas normal un mal de tête comme ça. Tu dois avoir une tumeur ou une saloperie de ce genre.

- Non…c’est pas ça. J’ai plutôt l’impression que quelque chose veut sortir de mon crâne mais n’y arrive pas.

- Ah ? Et qu’est-ce qui le retient d’après toi ?

- Moi. Je ne veux pas que mon crâne explose.

- Charmant.

- Vas-y, dis-moi.

- On a du boulot. Et je vais avoir besoin de toute ta caboche. Donc prends ton temps. Tu ne me sers à rien dans cet état.

 

 

 

La mission qu’on nous…qu’on lui proposait n’était pas comme d’habitude. Habituellement, on avait recours à Emma pour retrouver ce qui avait été perdu ou pour perdre ce qui ne l’était pas. Cette fois-ci, c’était une sorte de chasse au trésor, comme les gosses en font.

 

 

 

- Quand je suis arrivée au rendez-vous, il n’y avait personne. C’était dans un immeuble en construction. Le rez-de-chaussée était absolument désert. Il n’y avait juste qu’un parpaing en plein milieu avec ça dessus.

 

 

 

Emma me tendit une carte qui semblait avoir été dessinée par un gosse. Elle représentait Cipango. Dans le coin à droite, un soleil brillait d’une seule couleur, le jaune, et un dragon digne du Lotus bleu de Tintin nageait tranquillement dans le Pacifique. Une croix rouge, large d’au moins deux centimètres, était apposée sur l’île de Kyushu.

 

 

 

- C’est une blague ?

- Pas sûr. Regarde derrière.

 

 

 

Au dos de la carte, une écriture d’adulte indiquait : « La croix désigne toujours l’endroit, Miss P. »

 

 

 

- Miss P. ? C’est toi, ça ?

- Evidemment ! Qui veux-tu que ce soit ?

- Je ne sais pas…une coïncidence.

- T’as encore mal au crâne ou quoi ? Je ne crois pas aux coïncidences.

- Tu veux y aller ?

- Bien sûr.

 

 

 

Bien sûr. Je pose beaucoup de questions stupides quand même. Elle était venue à Kyoto pour cela. Maintenant qu’elle n’avait plus d’ennemis, elle pouvait tout se permettre. Surtout d’en trouver de nouveaux.

 

 

 

- Je crois que cette fois, tu vas devoir m’en dire plus que d’habitude.

- C’est-à-dire ? demanda-t-elle d’un air réellement étonné.

- Qui t’a contacté ?

- Je l’ignore, évidemment.

- Alors, comment t’a-t-on contacté ?

- Comme d’habitude. Un message à la gare centrale.

- A New-York ?

 

 

- Oui, à New-York ! C’est quoi ces questions Gaspard !

 

 

- Tu ne trouves pas bizarre de faire tout ce chemin pour trouver cela ? Qu’à notre arrivée, Rochefort et ses sbires nous attendent ! Et qu’il…qu’il…

- Oui ?

- Qu’il meure aussi facilement…

- Ah.

 

 

 

Je n’avais jamais harcelé Emma à ce point sur ses contacts. Elle prenait connaissance du contrat, venait me chercher, me disait que le strict minimum, touchait l’argent, me donnait ma part et voilà. Mais cette fois, il y avait quelque chose qui ne collait pas.

 

 

 

- Tu sais, Gaspard. Si ce n’était pas toi, je t’aurais déjà soupçonné de vouloir me trahir et t’aurais descendu. Mais j’ai appris à te connaître. Il n’y a pas plus méfiant et prudent que toi. D’autres appelleraient ça de la lâcheté. Moi j’appelle ça du bon sens. Si je suis aussi douée dans mon métier, c’est parce que je n’ai pas de bon sens. Je me fie à mon instinct et à ma chance surtout. Evidemment que je trouve cela bizarre. Toute cette histoire pue l’embrouille. Mais je ne vais pas abandonner maintenant. Au moment où cela commence à être drôle.

 

 

 

Elle grimpa dans la Mustang et mit le moteur en marche. Je réussis à m’y traîner. L’horloge placée sur le tableau de bord du côté passager, indiquait 23h53.

 

 

 

- C’est la vraie heure, ça ?

- Quoi ?

- C’est l’heure d’ici ?

- Oui, pourquoi ?

- Les années 70 sont dans sept minutes.

- Alors, on va prendre un quart d’heure pour boire un petit saké. On rattrapera le temps perdu sur l’autoroute. J’espère que tu ne vas pas mourir sur mon bois.

- Ton faux bois, tu veux dire ?

- Tu vas vomir ou pas ?

- Je crois surtout que je vais prendre le Shinkansen.

 

 

 

Emma nous conduisit jusqu’à une petite falaise où le panorama était exceptionnel. Loin des tumultes de la ville, on avait une vue sur toute la baie.

 

 

 

- Comment as-tu su ? Je croyais que tu n’étais jamais venue à Kyoto ?

- C’est vrai.

- Alors, comment ?

- Gaspard, cesse cette manie de toujours me questionner au sujet de mes secrets, tu serais déçu.

 

 

 

Elle était belle la femme que j’aimais. Je l’aimais sans limite mais la craignais aussi. Elle était impitoyable avec ses ennemis et n’avait jamais peur de rien.

 

 

 

- Tu trouverais ça con, si je t’embrassais sous les étoiles, au moment de la nouvelle année ?

- Sans doute.

 

 

 

Je l’embrassai évidemment et nous avons eu l’air con.

 

 

 

- Je pense comme toi, tu sais. Rochefort ne peut pas être mort. Tu as survécu à bien pire que ça et il est plus coriace que toi.

- Il va falloir s’attendre à le retrouver sur notre route.

- Oui. Et à l’affronter à nouveau, éternellement.

Publié dans Saudade : Emma

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