Chapitre DIX-SEPT : Trois petites choses à faire avant de partir

Publié le par Gaspard


Le professeur Béryllium m’a demandé de faire trois choses avant de partir. Boire une bière, voir un film et écrire mon testament.

Comme on s’en doute, j’effectuai chacune de ces taches avec un gros pincement au coeur. Le testament pourrait être mon dernier témoignage, la bière, la dernière boisson de qualité que j’ingurgiterais et le film, l’ultime souvenir qui accompagnerait mon agonie. Il fallait que je m’organise. Premièrement : dans quel ordre devais-je procéder ? Les horaires des cinémas étant si peu adaptés et adaptables que je choisis tout naturellement d’aller voir un film. Mais lequel ? Choisir un film que j’avais déjà vu favorisait la sécurité. Aller voir un film récent comportait plus de risques. Si j’étais déçu, le préjudice serait immense. C’est l’esprit tourmenté que j’entamerais mon voyage, signe sans doute d’un dénouement tragique. Mais au contraire, si le film me ravissait, c’est le cœur courageux, l’esprit libre que je descendrais au fond de la mer.

La réflexion me prit au moins une heure. Finalement, je résolus de limiter les risques au maximum – le voyage en comportait déjà tellement – et je me décidai pour l’un de mes films favoris. Ici, un second problème s’imposa à moi. Lequel de mes préférés accompagnerait mon départ ? Il me fallait faire un choix cruel.

J’éliminai immédiatement les Woody Allen que j’avais déjà tous vus au moins deux fois, même les mauvais et cela suffisait. Pour réduire encore la liste des possibilités, je décidai de ne sélectionner que des films du nouveau continent puisque c’est bien là que je me rendais. Finalement, après bien des péripéties mentales, c’est pour un film italien que je me décidai mais qui avait pour cadre les plaines sauvages : le Bon, la Brute et le Truand.

Depuis l’âge le plus tendre où je le vis pour la première fois, je n’avais eu de cesse de le revoir, de le revoir encore et le revoir encore. J’aimais cette lenteur des gestes, cette rapidité des armes et ces gueules ! Ces formidables gueules de vérolés de la vie qui connaissent à peine trois mots. Quel choix judicieux pour un dernier voyage ! Par chance, il passait justement à 15 heures au Festival, un petit cinéma de quartier. Je m’y rendis sur le champ, pris mon ticket de couleur, omis volontairement le pop-corn et m’assis sur un fauteuil au milieu de la salle, seul et heureux de l’être.

Je me dirigeai ensuite vers un de ces endroits gigantesques où l’on sert toutes sortes de bières. Enfin, toutes sortes de bières est une expression un peu ronfleuse. On n’y trouve que les bières que l’on trouve dans la ville d’à côté. C’est le marché qui veut ça. Mais bon, j’adore la bière et je n’y connais rien. Autant dire que l’endroit est fait pour moi.

Le choix cornélien qui m’avait saisi devant les horaires de cinéma me reprit soudainement : Allais-je commander une bière connue ou inconnue ?

J’entrai donc dans l’établissement et m’assis au comptoir prêt à faire le marin. Je n’étais pas le seul, d’ailleurs. On y rencontrait que des solitaires, la bière devant le pif et la gorge muette. L’un d’entre eux attira, je ne sais pourquoi, mon attention. Il regardait droit devant lui alors qu’il n’y avait rien à regarder dans cette direction. Son esprit semblait être en proie à de terribles assauts.

Diable merci, la carte des bières était séparée en cinq parties distinctes : les brunes, les blondes, les blanches, les rousses et les autres. Je n’étais pas très familier des rousses et je ne voulus pas prendre de risque. Les blondes sont trop communes et les blanches trop estivales. Il n’y avait qu’une brune pour me donner le courage nécessaire à mon voyage.

Pour ne pas faire les choses à moitié, je commandai une pinte de brune bien grasse et bien solide qui manqua de briser le zinc en deux lorsque je la reposai sur un sous bock. Il fallait avoir des muscles d’acier pour la soulever et un foie en béton pour l’avaler. Cependant, elle fit son œuvre à merveille et me donna les forces nécessaires pour m’attaquer à la rédaction de mon testament.

J’allai m’asseoir un peu plus loin dans un coin douteux où même la lumière n’ose pas aller. Ecrire son testament n’est pas facile. Je me souviens qu’il y a quelques années, on m’avait demandé d’écrire ma biographie. Cet exercice pourtant fort simple me prit des semaines. Je ne savais pas quoi dire d’intéressant. J’avais toujours su raconter des histoires mais là, il y avait comme un blocage. Ma plume resta muette. Je me tournai alors vers une amie, la seule qu’il me restait et lui demandai de l’écrire à ma place. Elle s’attela à la tache immédiatement et me rendit trois jours plus tard l’histoire complète de ma vie et en supplément un bref résumé de mes rêves. L’ensemble ne comportait que quatre pages, petit format, grands carreaux.

Je me souviens de m’être mis à pleurer. Mon amie crut avoir mal agi et fit amende honorable. Je profitai alors de la situation et lui crachai mes maux et la congédiai sur le champ, ne voulant plus la revoir. Que voulez-vous ? Etant trop fatigué pour souffrir, il fallait bien que quelqu’un le fasse à ma place. Mais je tenais une bonne occasion de me racheter. Par mon testament, je léguais à cette amie exilée la totalité de ma bibliothèque qui, sil elle se trouve quelque part, doit être aujourd’hui correctement fournie. L’angoisse de la page blanche étant passée, je rédigeai alors un formidable testament où j’alignai à côté de mes erreurs passées, la liste de mes anciennes victimes et futurs bénéficiaires de mes biens. Le tout atteignait presque le double de ma biographie. Etais-je quelqu’un de si mauvais ? La question méritait d’être posée. Pour tout dire, je n’en avais pas l’impression. J’avais fait jusque là mon petit bout de chemin, sans avoir bouleversé l’ordre de l’univers. Après mon passage, en général, tout restait intact. Je me mis alors à penser à la rue des pendus, à Suzie, à Jack, à Louis, à la compagnie. S’il y avait quelques meubles que j’avais dérangés, c’étaient bien les leurs. Et pourtant, il n’y avait pas une seule ligne sur eux dans mon testament.

Je le déchirai puis le recommençai. Je léguai ma super 8 à Jack et à Louis, mon argentique à Suzie, mon arbre magique à Acajou, ma trompette au Lampadaire, mon imperméable beige au Pilier et mon kaléidoscope à l’Armoire normande. Tant pis pour les autres, les passants éventrés, les cousins éviscérés et les coquins défenestrés qui garnissaient mon premier jet. S’il devait m’arriver malheur, je serais sûr de me retrouver que des vrais amis dans le bureau obscur du notaire.

Cela fait, je pliai mon testament en quatre et le tendis au barman.

 

- Qu’est-ce que c’est que cela ?

- Mon testament.

- Ma bière n’était pas à votre goût ?

- Mais si. Là n’est pas la question.

- Vous êtes mourrant ?

- Je me porte comme un charme, rassurez-vous.

- Alors je ne vois pas.

- C’est pourtant fort simple. Je m’apprête à m’embarquer pour le plus dangereux voyage de l’Histoire et je ne sais pas si j’en reviendrai. On m’a donc conseillé de faire trois petites choses avant de partir.

- Je comprends mieux. Quel film avez-vous vu ?

- Le Bon, la Brute et le Truand.

- Excellent choix. Même s’il manque un peu de navires.

- Oui. Et donc, comme je ne connais personne ici, je me suis dit que vous pourriez peut-être garder le mien jusqu’à mon retour ou jusqu’à la nouvelle d’une tragédie. La mienne, en l’occurrence.

- Vous me flattez, Monsieur. Si j’avais une salle de cinéma dans l’arrière-salle, vous auriez fait le tiercé dans l’ordre.

 

Je ne compris pas immédiatement à quoi il faisait allusion alors je me contentai de sourire poliment.

 

- En tout cas, reprit-il, soyez sûr que j’en prendrai grand soin. Comment se nomme votre navire ?

- Alors ça… répondis-je après un instant, je n’en ai pas la moindre idée. J’ai rendez-vous demain midi au hangar 36.

- Hé bien, je me rendrai moi aussi à ce rendez-vous et je prendrai toutes les informations dont j’aurai besoin.

- Monsieur, je suis votre obligé.

- Non, voyons, c’est tout naturel. Lorsque dans ma jeunesse, je naviguais, je pris les mêmes précautions que vous. Il est normal que je rende la pareille.

- Hé bien, monsieur, dis-je en lui serrant la main, j’espère vous revoir un jour.

- Moi également. Bon vent.

 

Je sortis de l’estaminet et résolus de faire quelques pas et de regarder la lune. Mais celle-ci n’était pas au rendez-vous, ce qui pour la plupart des civilisations, est un mauvais présage.

 

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Publié dans Atlantic railways

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